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Astrid Lacroix

Astrid Lacroix

Blog de réflexions sur les problèmes de société


Du consentement à l'ignorance dans la génèse des catastrophes

Publié par Astrid Lacroix sur 10 Octobre 2014, 11:45am

 

 

Du consentement à l'ignorance dans la genèse des catastrophes

 

Le but poursuivi dans cet article n'est pas de recenser de façon exhaustive les causes des catastrophes et les différences entre ignorance du fait de l'individu en tant que tel de celles issues du fonctionnement de l'individu dans un collectif mais d'approcher ce phénomène, du fait de l'homme, qu'est l'absence, l'oubli, une forme de cécité à la rationalité commune qui veut qu'en situation d'incertitude, l'homme fasse appel à la connaissance.

Je présente trois cas dans lesquels une production d'ignorance conduit à la catastrophe.

A quoi sont dues les catastrophes du fait de l'homme ?

A l'ignorance, assurément. 

Qu'est-ce que l'ignorance ? 

L'ignorance est l'état de celui qui ne connait pas l'existence de quelque chose.

Autre réponse : l'ignorance est un décalage entre la réalité et la perception de cette réalité. 

L'ignorance  produit des effets dommageables pour l'homme, c'est pourquoi il cherche à s'en défaire.

Trois cas d'ignorance peuvent se présenter principalement.

- L'ignorant ne sait pas et ne sait pas qu'il ne sait  pas.

- L'ignorant ne sait pas, sait qu'il ne sait pas et en tire les conséquences. 

- L'ignorant ne sait pas, sait qu'il ne sait pas et n'admet pas son état d'ignorance.

 

Le mot ignorance vient du grec "agnoia", qui signifie  pour les grecs, l'ignorance moins du réel que des divinités et de la morale. L'ignorance au sens grec est l'ignorance des dispositions intérieures censées guider la conduite de tout un chacun vers le bien. Socrate enjoint l'individu à se connaitre lui-même pour lui éviter l'écueil du dépassement de ses limites qui conduit à l'erreur. Descartes poursuivra la réflexion dans le discours de la méthode qui est une théorie de la connaissance poursuivie par Kant dans la philosophie transcendantale.

Des conditions communes de survenance des catastrophes me sont apparues à partir de trois cas que voici.

Le premier cas est une réflexion sur une catastrophe par dépassement des limites dans un aveuglement collectif, les deux derniers cas sont des exemples de catastrophes dues à une fragilisation d'artefacts aggravée par des conditions météorologiques défavorables sur fond d'abandon des règles de bon fonctionnement et des valeurs morales.

 

 

 

                                                     **********

 

I Le cas d'un crash d'un aéronef dans les Andes : l'oubli du risque


Le 13 Octobre 1972, l'avion de Fernando Parrado et de ses co-équipiers s'écrase dans la Cordillère des Andes à 3500 mètres d'altitude. Il fait partie du groupe qui survit au crash. Sa mère est morte sur le coup. Sa sœur  de vingt ans, Susana, décède quelques jours plus tard.  Ils seront une quinzaine à s'en sortir sur quarante-cinq personnes au départ. Cet épisode est connu dans l'histoire des catastrophes aériennes en raison de l'anthropophagie à laquelle ont eu recours les victimes du crash pour survivre.

Sur les origines de la catastrophe, l'appareil n'ayant pas encore décollé à cause du mauvais temps, et battant peut-être sa coulpe, Parrado écrit :

Pendant que les pilotes analysaient la situation, notre impatience montait. Nous avions déjà

perdu une journée, et l'idée de renoncer était très frustrante. Nous étions jeunes et hardis

, nous n'avions peur de rien et étions pleins de confiance ; nous ne voulions pas voir nos

vacances tomber à l'eau à cause de ce que nous prenions pour un manque de courage chez les

pilotes. Évidemment, nous en rajoutions. Lorsque nous avons aperçu les pilotes à l'aéroport,

nous les avons hués, sifflés, taquinés, nous avons remis en cause leurs compétences. Une voix

s'est élevée pour crier : "Nous vous avons engagés pour nous emmener au Chili et c'est ce que

nous voulons !" Il est impossible de savoir si notre comportement les a influencés - le fait est

qu'ils avaient l'air mal à l'aise - et après un dernier entretien avec Lagurara, Ferradas nous a

regardés et a annoncé que le voyage continuait. Sa déclaration a été saluée par des cris de

joie. 

 

 

 

Le site du crash devenu mémorial

Le site du crash devenu mémorial

Ce court extrait du livre donne des indications sur la manière dont la décision a été prise.

Parrado montre que le groupe a chahuté les pilotes, mais que la décision finale a résulté d'une dernière discussion entre les deux pilotes. "Il est impossible de savoir si notre comportement les a influencés" écrit-il, alors qu'il nous explique les avoir "hués, sifflés, taquinés": une répétition de mots, une figure de style d'accumulation qui montre le poids du groupe sur les pilotes. Que veut dire cette contradiction entre le procédé littéraire et le contenu du texte, entre le fond et la forme ? Que cachent le non-dit, les ellipses ? Il est possible que l'enthousiasme, l'impatience, l'ennui, la frustration de rester bloqués en terre étrangère, la forte envie de participer à ce match aient été les causes de la décision de décoller mais les psychosociologues à commencer par Gustave Lebon nous l'expliquent : sans un effort de retour sur soi, les raisons profondes des comportements qu'ils soient individuels ou collectifs échappent à la conscience des acteurs. La peur engendre la virilisation des comportements, l'oubli des règles de prudence, le déni du danger. L'enthousiasme a pu être renforcé par une déréalisation des esprits. Le fait d'être en groupe, d'être visible sous l’œil de tiers  provoque une scission de l'esprit, un mensonge intérieur qui repose sur la culpabilisation de sortir de la définition sociale du masculin qui doit cacher sa peur afin de remplir le rôle qui lui est attribué. Ce mensonge est pris pour argent comptant par les autres membres du groupe et renforce le processus, le tout se transforme en bravade généralisée.

Parrado témoigne de ses contradictions, pris entre le besoin d'expliquer et le souhait de préserver la mémoire des morts, de préserver le mythe créé autour de leur aventure.

Son témoignage reste un hymne à la grandeur de l'homme mais finalement nous dit peu de choses sur les responsabilités des uns et des autres dans la survenue de l'accident. Les circonstances du crash sont enfermées dans un sanctuaire cadenassé par le devoir d'honorer la mémoire des disparus, par le respect de la beauté de l'entraide salvatrice. Les survivants sont devenus plus que des frères, plus que les conjoints d'un couple. Chercher à établir des responsabilités serait un sacrilège profanateur d'un sentiment de solidarité plus fort que l'amour.

"Cette voix qui crie, plus forte que les autres". De qui veut parler Parrado ? Il connait le propriétaire de cette voix qu'il  laisse dans le repos de l'oubli. Cette voix, c'est peut-être celle de Marcelo Perez, le capitaine de l'équipe organisateur du voyage , qui meurt peu après le crash dans une avalanche. Strauch, un des quinze survivants, dit que "son esprit était déjà mort" à la suite de l'annonce entendue à la radio de l'arrêt des recherches. Longtemps après le drame, la famille du capitaine défunt resta engloutie dans le silence , refusant tous les contacts avec les survivants. Cette voix personnalise la mort à laquelle Parrado a échappé. 

Ces jeunes sont des rugbymens ; ce sont des conquérants qui ont l'habitude de ne rien lâcher. Leur enthousiasme, l'esprit de groupe les a mis en danger, tués pour certains, puis a sauvé ceux qui restaient. Fernando Parrado force l'admiration quand il raconte son évasion de la Cordillère. Et ce n'est pas surement pas un hasard si lui et son compagnon d'évasion Roberto Canessa, les deux à avoir trouvé assez de ressources morales et physiques pour regagner la civilisation, ont eu par la suite un parcours professionnel de haut niveau. Parrado mesure 1,90 m. C'est un joueur de rugby réputé rugueux. Comment le groupe l'a-t-il perçu au cours de ces nombreuses semaines dans la neige et le froid ? Comment s'est-il révêlé dans ce groupe de rescapés ? Sa conviction, - la nécessité de prendre la route- s'est formée au fur et à mesure que le temps passait, que la neige fondait, que le regard des autres le portait comme seul capable de réussir.

Quelle a été la place des femmes dans cette situation de stress et d'incertitude ? 

Des analyses des comportements des femmes en situation de stress montrent qu'elles sont moins enclines que les hommes à se mettre en danger. Les femmes étaient au nombre de cinq dans ce groupe de quarante-cinq personnes. Elles auraient été plus nombreuses, leur influence sur la décision de décoller aurait été plus importante. Il est probable qu'elles auraient temporisé.

"Nous étions jeunes et hardis" Parrado montre par ces mots qu'il réduit tout le groupe à la seule équipe de rugby. Que fait-il des accompagnants, des membres de l'équipage ? Sa mère, sa sœur ont dû suivre ce grand gaillard de fils et de frère.

Qui sont ces joueurs dont les pilotes sont des militaires, de quels appuis bénéficient-ils dans cet Uruguay de 1972 en proie aux conflits internes violents ? Comment cette équipe a-t-elle pu avoir les moyens financiers de louer un avion de l'armée uruguayenne ?

Autant de questions qui sont en rapport avec le contexte politique de l'époque. Quelle place à la voix de la femme dans ces sociétés latines, violentes où bientôt (en 1973) viendra l'assassinat d'Allende au Chili, l'opération Condor (en 1975) montée dans une grande partie de l'Amérique du Sud,  sur fond de guerre froide et de lutte contre le communisme.

Le rugby a été introduit en Uruguay par des religieux et pédagogues irlandais qui ont créé un groupe scolaire d'excellence dans laquelle la bonne société uruguayenne n'a pas tardé à placer ses enfants. Ces jeunes font partie de l'élite d'une société comme le montrent les futurs parcours de vie de Parrado et Canessa.

Elargir la réflexion au contexte de l'accident amène à se poser des questions sur les rapports de force qui ont pu exister entre cette équipe et l'équipage de l'avion.

Le simple doute sur la question de la sécurité des passagers était suffisant pour que les pilotes interdisent le décollage. La sécurité surtout dans l'aviation ne doit pas faire l'objet de marchandages. Les règles sont établies pour réduire au maximum les cas de conscience, les hésitations et les atermoiements, les débats.

La catastrophe appartient au monde des experts en gants blancs dont on attend la vérité, les conclusions techniques. Puis viennent les experts qui vont s'intéresser aux hommes, à leurs motivations, et à leurs rapports de force, leurs relations de pouvoir, de domination, d'influence, de séduction, de manipulation.

Qu'est-ce qui a été ignoré dans cette histoire ?

L'environnement à risque, montagneux

Les conditions météo, dégradées

La culture de la performance dans un groupe habitué à considérer le questionnement sur l'excessif comme une insuffisance de motivation et une trahison du collectif.

La place des femmes dans un groupe qui par le décalage de leur faiblesse physique relative par rapport aux hommes permettent de poser la question de la différenciation entre le risque raisonnable et l'imprudence. Ces jeunes gens se sont comportés comme sur un terrain de sport en recréant une ambiance de vestiaire. Il n'y a pas ici de consentement à l'ignorance à proprement parler puisque les capacités de raisonnement individuelles sont obérées par l'assimilation de l'individu au groupe.

                                                         **********

 

II Le cas de la catastrophe Xynthia : l'ignorance consentie

A la Faute sur Mer, la conquête inconsidérée de territoires sur la mer a coûté de longues années de procès à l'ancien maire, René Marratier, récemment condamné en appel à deux ans de prison avec sursis et à rembourser 250.000 euros de frais d'avocats aux victimes.

Après les inondations à la Faute-sur-Mer, en mars 2010. Photo Frank Perry. AFP

Après les inondations à la Faute-sur-Mer, en mars 2010. Photo Frank Perry. AFP

Pourquoi un procès à la  Faute sur Mer après la tempête Xynthia ?

Xynthia a fait 53 morts dont 29 dans cette  seule commune, le 28 février 2010. Ce triste bilan, largement plus dramatique que celui des communes voisines, laisse supposer des dysfonctionnements dans la gestion des risques au sein de la commune et dans les services de l'Etat.

                                                                              ****************

 Le conseil municipal de la Faute sur Mer a donné l'autorisation de construire en zone inondable.

Ces autorisations étaient contrôlées par les services de l'Etat.

Les permis de construire ont été accordés sans se référer aux hauteurs de crues du passé sur  lesquelles est établie la « côte de référence ». Elle aurait dû être calculée et fournie par l’État.

Nul n'est censé construire  en dessous de la côte de référence.

La responsable de la commission d'urbanisme de la mairie dit n'avoir pas compris ce qu'était  cette "côte de référence" alors qu'elle a transmis des dossiers aux services de l’État.  Les erreurs

des services de la Préfecture ont été exploitées et amplifiées localement par les élus.

Les Plans de Préventions des Risques d'Inondation viennent contrarier le développement des communes du littoral en faisant perdre de la valeur aux terrains, en limitant les zones de construction et l'accès aux plages des futurs acheteurs. Les PPRI ne sont donc pas les bienvenus d'un point de vue financier, touristique, commercial.

La logique des lois de décentralisation, la défiance envers le pouvoir central, le relâchement des contrôles de l'Etat sur les communes, les conflits d'intérêts au sein du conseil municipal, la cupidité, les incompétences,  les absences  et l'occultation des informations, l'attrait de la mer chez les touristes au détriment de la prise de conscience du risque, une conception rationaliste de l 'efficacité qui de la santé à la justice dans notre pays nous fait ignorer les bienfaits des actions préventives, l'économique prenant le pas sur les considérations de sécurité même au plus  haut niveau de l'état,  en un mot l'ignorance, ignorée ou consentie, sont à l'origine de la surmortalité à la Faute sur Mer.

 

                                                        **************

(Le phénomène météo Xynthia est relaté ici sur le site de la Fenvac, association de victimes, ainsi que les auditions du procès).

Les accusés s'appellent

- René Marratier, le maire,

- Alain Jacobsoone, l'ancien directeur adjoint départemental du territoire et de la mer,

- Philippe Babin promoteur immobilier

-et sa mère première adjointe de la Faute sur Mer, Françoise Babin. 

Philippe Babin est également président de l'association ASA qui a en charge l'entretien de la portion sud des digues qui font rempart contre l'océan d'un côté et l'estuaire du Lay de l'autre, la Faute sur Mer étant construite sur une bande de terre prise en tenaille par l'eau. 

Une quatrième personne Patrick Maslin ancien conseiller municipal et entrepreneur de BTP qui avait participé à la construction des lotissements les Doris et les Voiliers particulièrement envahis par l'eau cette nuit là, était poursuivie mais ce monsieur est décédé au cours du premier procès, le 1er octobre 2014.

 Le premier procès s'est tenu à partir du 15 septembre 2014 aux Sables-d'Olonne.

Le médecin Bounaceur a perdu quatre membre de sa famille : sa femme, sa mère, ses fils Ismaël, 4 ans et demi, et Camil, 13 ans.

Décédés également : des locataires de Madame Babin, le couple Rousseau 56 ans, 

Monsieur Tabary : 60 ans, son petit-fils :  2 ans.

L'eau a parfois atteint les plafonds piégeant les victimes restées à l'intérieur. Les effets de la mort par noyade soulignés par le psychiatre Ronan Orio sont affreusement pénibles à envisager pour soi. Les victimes sont bleuies, cyanosées. L'eau de mer est hypertonique, le plasma sanguin envahit les poumons, la victime se noie de l'intérieur. La mousse blanche légère, spumée, mélange d'eau, d'air et de mucus entoure la bouche et le nez des victimes. La description de   l'horreur remet les choses à leur place dans le théâtre d'un procès où la pénibilité des situations concrètes peut rapidement disparaître dans les arguties juridiques.

A la suite de cette tempête une commission d'information du Sénat se met en place.

On trouvera ici le rapport du sénateur Alain Anziani sur le site du Sénat .


 

Le rapport du Sénat pointe des manquements à l'origine de la crise


Au sujet du passage de Xynthia sur le territoire, le rapport du Sénat retient les défaillances suivantes : 

  • une prévision qui n'a pas permis d'anticiper correctement les risques à terre.

  • une vigilance insuffisamment opérationnelle ;

  • une prévention incomplète du risque de submersion marine ;

  • une occupation des sols exposant au risque d’inondation

  • un entretien très inégal des digues. 

Concernant l'adoption des plans de prévention des risques naturels dans les communes du littoral

"des situations de blocage doivent malheureusement être constatées dans un certain nombre de communes. La commune de La Faute-sur-Mer n’était pas dotée d’un PPRI à la veille du passage

de la tempête Xynthia, alors même qu’elle était particulièrement exposée au risque de submersion marine et aurait dû faire prioritairement l’objet d’un tel plan.

Le préfet de Vendée, M. Jean-Jacques Brot, a précisé à la mission qu’en neuf ans, quatre projets de PPR avaient été préparés pour les communes de La Faute-sur-Mer et de L’Aiguillon-sur-Mer, mais qu'aucun document n’avait été adopté. En novembre dernier, et après de nombreux mois d’atermoiement, la commune de La Faute-sur-Mer avait demandé au préfet de surseoir à l’enquête préalable requise par la procédure"

Au moment du drame, les plans de prévention des risques naturels dans les communes du littoral de Vendée ne sont pas adoptés ou sont très en retard. C'est un constat général pour les communes du littoral dont il faut analyser les causes.

Le Plan de Prévention des Risques Prévisibles d'Inondation de la Faute sur mer a été adopté le 18 juillet 2012 et est disponible ici

 

 Pour les communes d'Aquitaine et comme élément de compréhension, on trouvera la liste la liste

des  freins à l'adoption des PPRI (document de 2012) établie par le  conseil économique et social de la région Aquitaine.

 

  • Une conscience insuffisante de la réalité de ces risques parmi la population mais aussi encore parmi les élus locaux

  • Des difficultés d'adaptation des services instructeurs soumis à une profusion et une instabilité réglementaires.

  • Un manque de moyens qui fait de la lutte contre l'aléa, un sujet moins prioritaire que d'autres, plus apparents.

Cet organisme aquitain préserve la susceptibilité du personnel politique de terrain. Il n'aborde  pas le problème de conflits d'intérêts chez les élus qui ont parfois un intérêt personnel à ne pas souligner les risques (voir #infra1) car ils dévaluent le patrimoine sur le marché immobilier.  

L'Etat aurait dû contraindre les communes à adopter les PPRI ce qu'il n'a pas fait. L'adoption des plans de prévention des risques est négociée entre la DDE et la mairie. A la décharge des maires dont la mission est lourde, ils doivent aussi préserver et favoriser l'économie locale. A l'heure actuelle  le bourg de la Faute sur Mer est sinistré, il a perdu 20 % de sa capacité d'accueil. De nombreux commerces ont disparu. La pertinence de l'action est affaire de dosage, d'évaluation autour de normes qui doivent être transmises et appliquées. Les mairies sont prises dans des contraintes nationales, assurer la sécurité des administrés et faire rayonner leur commune, éviter la fermeture des commerces de proximité sans avoir les mêmes moyens que les instances nationales.

 Le nouveau maire s'exprime «La commune est doublement martyre. Il y a les victimes et les familles meurtries, et 20% du territoire construit démoli, c’est trop, c’est à l’évidence une erreur d’appréciation de l’Etat», regrette le maire. «Il y a urgence à relancer notre territoire», insiste-t-il. 

L'Etat est soit lointain  soit brutal, c'est à dire faible dans les deux cas. Cette action de l'Etat se situe dans un cadre de déconcentration et de décentralisation.  La déconcentration installe dans les régions et les départements des extensions des services administratif nationaux. Comme évoqué plus haut, l'activité des mairies et des préfectures doit s'envisager dans un environnement de surproduction et d'instabilité législative et réglementaire, d'instabilité structurelle des services de l'Etat. En 2013, la cour des comptes pointe du doigt cette anomalie

Le rapport du Sénat, déjà en 2010, mentionnait le problème, page 82, de la faiblesse du contrôle de légalité des décisions des maires :

« Les acteurs de terrain entendus par votre mission ont souligné que la révision générale des politiques publiques (RGPP), en provoquant une diminution sensible et soudaine des effectifs,

avait eu des conséquences préjudiciables sur la qualité et sur l’intensité du contrôle de légalité. »

La décentralisation en question

Depuis la loi de 82 dite "Deferre", de décentralisation, les décisions du maire sont exécutables

de plein droit. Le maire bénéficie d'une autonomie et ses décisions ne sont plus soumises à autorisation administrative préalable. Le contrôle se fait a postériori et devient judiciaire. Les demandes de permis de construire sont instruites par la mairie ou par la DDE quand la mairie ne dispose pas des compétences suffisantes. L'absence de réponse dans les délais depuis la loi de 2005 ,  vaut acceptation sauf exception du cas d'une demande de permis de construire impactée par la proximité d'un monument historique.

Voilà comment, in fine, collectivement s'explique le procès. Les morts sont inscrits dans la loi. On attend qu'il y ait des problèmes pour intervenir. La loi de décentralisation accorde de l'autonomie aux maires et en contrepartie des pouvoirs accrus ont été attribués au préfet. Si les services de l'Etat et de contrôle sont défaillants, des dysfonctionnements apparaissent.

La  décentralisation confie le sort des administrés à des élus parfois incompétents et  induit également l'autorité de tutelle à ne pas tirer toutes les conclusions qui s'imposent au nom du bon sens. Le manque d'implication généralisé est contenu dans cette logique légale. La catastrophe Xynthia se produit dans un contexte de relâchement des contrôles de légalité, de surproduction de textes légaux et réglementaires, et finalement d'insécurité et de faiblesse de la loi.


A titre individuel, la culpabilité des élus est supposée dans ce procès. Le nombre important de victimes pour la seule commune de la Faute sur Mer par rapport aux communes environnantes amène à s'interroger sur la régularité de délivrance des permis de construire et sur le classement en zone constructible de zones inondables.  René Marratier a délibérément ignoré les risques ainsi que des promoteurs dont le fils de l'adjointe à l'urbanisme, les Babin mère et fils. Elle est la responsable des permis de construire que son fils lui fait parvenir à la mairie pour construire sur des terrains inondables, des terres à vaches, qui appartiennent à la famille depuis de nombreuses années. L'entrepreneur Patrick Maslin construit les maisons.  Le maire est à la tête d'une mairie qui se comporte en succursale d'agence immobilière dans laquelle la personne qui demande et instruit les permis de construire est la même. Les demandes de permis de construire sont ensuite envoyées à la préfecture pour avis auquel la mairie se tient. Malheureusement, ce contrôle reste de pure forme, les permis sont acceptés en dépit des dispositions réglementaires comme  on peut  le voir en consultant les documents.

Les zones sinistrées sur  Lotissement des Doris ici


On peut les comparer avec cartes de l'Atlas des zones à risques du littoral mentionnées dans  le rapport de Stéphane Raison ingénieur à la DDE de vendée ici . Cet Atlas a été réalisé avant la tempête. Il permet de voir que les permis de construire étaient accordés pour des constructions situées en zone rouge inconstructible.

 

 

 

La moralité des élus en question

 

L'obligation d'information des acheteurs de biens immobiliers est affirmée dans le PPRI. L'article 3-5 du plan de prévention des risques de la Faute sur Mer (page 7) oblige les vendeurs de bien immobilier à informer les acheteurs des risques naturels auxquels peut être soumis le bien. Les prévenus sont à la fois entrepreneur de BTP pour Maslin, propriétaire de terrains et membres du conseil municipal  pour les Babin. On comprend bien que le PPRI n'est pas bon pour les affaires. 

A la lecture de cet article 3-5 du PPRI on prend la mesure de la gêne qu'il peut provoquer chez les élus. La question est, d'une manière générale : quels sont les buts recherchés par les membres des conseils municipaux dans nos communes? Le bien être et la sécurité des citoyens ou la maitrise et l'orientation des POS afin de faciliter les intérêts privés ? On peut penser que la maitrise de la transformation de la qualification juridique des terrains, d'agricole en terrains constructibles peut être une motivation à se présenter en tant que maire dans nombre de nos communes rurales. Combien de maires de communes rurales sont agriculteurs, propriétaires fonciers, prestataire de la commune comme entrepreneur du BTP et directement intéressés par cette question ? Un maire des environs de Royan est promoteur immobilier de métier. Sa mairie travaille en collaboration avec le conservatoire du littoral mais cette collaboration est parfois difficile.

C'est ce que j'apprends à la suite d'une conversation avec un garde forestier employé du CL à l'été 2015. Il constate que des zones à protéger sont  exclues par la mairie pour préserver la constructibilité des terrains. Ce garde forestier remet également en cause la décentralisation. Mais l'argument selon lequel certains élus peuvent vouloir défendre leurs intérêts privés dans le cadre de leur mandat n'est pas suffisant pour comprendre les  problèmes  de gouvernance dans nos communes que l'avocate et ancienne ministre Corinne Lepage pointe aussi du doigt dans la question du nucléaire.

La logique des maires rejoint celle des acteurs économiques. Les maires favorisent une logique de développement, rentrent dans une culture productiviste dont l'environnement et nos concitoyens les plus exposés peuvent pâtir. Tous, acteurs et opposants ont en tête le respect du bien commun, le rapport de force est simplement déséquilibré. La bonne gestion des territoires relève d'une meilleure répartition du pouvoir politique au sein des instances représentative, d'une meilleure diversité des origines sociales du personnel politique, d'une prise de conscience des populations des risques encourus, du respect d'un devoir d'information de la puissance publique à l'égard des populations.


 

                                                     

Le conflit d'intérêt à la mairie de la Faute. 

 

Comment penser que Françoise Babin puisse dire à son fils que leur terrain est  inconstructible

car inondable,  qu'il va le rester car il présente des risques. Au contraire, elle va instruire le

dossier avec célérité.

Si elle ne le fait pas elle même, elle va induire le travail des subordonnés dans le sens qui lui

convient. Comment les collaborateurs vont-ils pouvoir se sentir libres d'exprimer leur réticences

sans qu'ils n'aient une interrogation sur leur avancement sur la suite de leur carrière dans la

territoriale ? Peuvent-ils se mettre à dos l'adjointe ? Ils préfèreront se taire bien sûr. Le silence

n'est pas demandé expressément, il est induit. Ce sont les effets pervers du conflit d'intérêt. Cette

situation anormale va gangrèner l'organisation. Un tel système ne peut pas se réformer de lui

même parce qu'il fonctionne en vase clos, les personnes se protégeant, et bridant leur expression.

Dans les esprits, le premier qui parle est en danger. La dégradation morale trouve son origine

dans les dépositaires de l'autorité et entraine tout le groupe à se taire. Ce système ressent les

tentatives de demande de transparence comme des intrusions d’où le peu de cas fait des

avertissements émis par le préfet, l'autorité de tutelle du maire. La dégradation morale se fait en

secret, dans l'opacité. Le conflit d'intérêt  lorsqu'il se concrétise par des prises illégales d'intérêt

pénalement répréhensibles détourne des moyens publics à des fins privées. Le conflit d'intérêt

créé les conditions organisationnelles de la crise.

Le conflit d'intérêt annule la délégation de pouvoir du citoyen à son représentant. René Marratier

n'en a pas tenu compte en restant au conseil municipal. Qu'il soit présent avant et après les

évènements laisse planer le doute d'une conscience chez lui d'une possible mise en cause de sa

responsabilité personnelle et une volonté de sa part de rester maire pour se protéger. Sa

démission immédiate en tant que maire comme cela a été le cas dans une autre commune proche

de la Faute aurait levé l’ambiguïté. Les effets néfastes du conflit d'intérêt sont soutenus par la

personnalité du maire et par les défauts de l'administration.

Ce maire est un acteur économique de la Faute sur Mer et considère les dossiers comme de la

paperasse qui nuit à son activité productrice de richesse. Les services de l'Etat ne sont pas des

partenaires mais un empêcheur de tourner en rond. (Interview de R. Marratier) Cela rejaillit sur

son activité de maire. Les PPRI ne l'intéressent pas. Les dossiers sur le risque ne l'intéressent pas

parce qu'il sont portés par une administration « tatillonne » et à ses yeux peu performante,

éloignée des réalités du terrain.  Il existe chez lui une défiance envers l'administration, ne

reposant pas que sur des fantasmes, défiance alimentée par les incompréhensions entre

une ruralité délaissée et l'urbanité favorisée, une défiance de celui qui exécute et qui travaille

envers ceux qui décident et qui selon lui profitent. 

Il n'en reste pas moins que les interviews en disent long sur la nature du personnage. 

La défense de René Marratier 


(Une personne, bien introduite comme on dit, me confirmait cet été (2015) que le maire avait

agacé les juges en simulant la bêtise. )

Corinne Lepage définit la défense du maire en trois points dans une video sur europe 1

 

Il dit être un "petit maire", pas très intelligent, c'est la faute de l'Etat, la tempête n'était pas

prévisible. 

Elle réplique : "petit maire" : non, car il a deux affaires, une entreprise de transport et un

garage automobile, il dirige 25 personnes, sa mairie compte 6 ou 7 employés. Pour la défense de

René Marratier on peut mettre en avant, comme le note le conseil économique et

social d'Aquitaine, le cadre institutionnel chahuté par les lois de déconcentration et les services

compétents déstabilisés par un cadre général de diminution des moyens financiers. La DDE sous

l'autorité de la Préfecture autorise les permis de construire.

L'état est fautif  : oui, désorganisation, dossiers de PPRI incomplets, il n'a pas tout fait pour

être irréprochable mais le maire a reçu 40 courriers en 15 ans pour le prévenir du risque de

submersion de l'eau par dessus la digue, la sous-préfète a appelé deux fois pour faire annuler des

permis de construire.

De plus, Marratier dit que l'Etat n'a pas fait son travail parce qu'il ne l'a pas contraint à exécuter

les travaux. Or la mairie s'est battue contre l'Etat pour que la mise en sécurité soit retardée ou

abandonnée.

Le responsable de l'enquête judiciaire le commandant Raffy est très clair : "M. Marratier et Mme

(Françoise) Babin (l'ancienne adjointe à l'urbanisme, ) ont délibérément accordé des permis de

construire qu'ils savaient non conformes" (article ici)

Corinne Lepage continue : René Marratier est un entrepreneur privé qui a eu une logique de

développement urbanistique sur sa commune en minimisant les risques. Le risque a été minimisé

car il est un frein au développement. Le conflit d'intérêt, le déni du risque sont légalement

couverts par des décisions administratives incomplètes. Chez Marratier, le risque de submersion

est interprété comme une affabulation administrative car la tempête est passée au dessus de la

tête des fautais en 1999. De plus, pour lui l'île de Ré protège la presqu'île sur laquelle est

construit le village.

- Argument selon lequel la tempête n'était pas prévisible.

La surcote et la surverse de la digue sont le résultat de conditions météo exceptionnelles.

Cependant il apparaît que la digue n'est pas surveillée comme il le faudrait par l'employé en

charge de ce travail : le maître de digue. Philippe Babin, son supérieur, ne cherche pas trop à

savoir si le travail de l'employé est bien fait. A la barre, il se dédouanne de ses responsabilités.

Le maitre de digue ne surveille pas pendant la nuit, ni lorsqu'il y a du vent comme pendant la nuit

de la tempête.

Le maire minimise  son intelligence : 

Minimiser son intelligence est une tactique de défense, un déni des responsabilité typique des

procès qui sont des moments  particuliers dans la vie des sociétés.  On ne peut pas invoquer la

stupidité quand on dirige une organisation. Le dirigeant  adhère à des valeurs ou en rejette

d'autres considérées comme moins essentielles. Il hiérarchise ses priorités, en privilégiant le

développement économique dont le sien au détriment de la sécurité.

L'incompétence, le désintérêt,  peuvent concerner les administrés mais les élus en s'impliquant

dans la chose publique ne font pas partie du commun auquel la justice peut accorder le droit de

n'avoir pas su.

René Marratier est le garant que le travail de  l'organisation dont il a la responsabilité est

conforme à sa mission. Il a  été très imprudent en laissant transformer sa mairie en annexe

d'agence immobilière de Madame Babin et Monsieur Maslin. On n'est pas adjoint au maire pour

faciliter ses affaires personnelles.  

René Marratier est coupable d'avoir 

- organisé lui même la dérive de son organisation vers l'immoralité 

- conservé des personnes qui pouvaient faire dériver l'organisation de ses priorités à savoir la

sécurité des administrés. Il n'a pas écarté les Babin et Maslin.  Le maire a failli en faisant le

choix de l'immobilier et en refusant de prendre en compte la sécurité, les morts en surnombre

sont là pour l'attester. Il est coupable de ne pas avoir pris la mesure des sanctions pénales

auxquelles il s'exposait sur lui en tant que maire.

 De plus, alors qu'il semble être conscient de sa médiocrité, il la revendique presque, il

est resté au conseil municipal et vient de perdre aux dernières élections auxquelles il s'était

encore représenté. S'il se présente, s'il est élu c'est qu'il est capable d'assumer sa mission. A la

barre, il dit le contraire.

 Les personnes sont mortes dans des lotissements construits dans une zone inondable située en

dessous du niveau de la mer et transformée en zone constructible par des décisions

administratives favorisant les intérêts financiers de certains membres du conseil municipal.

La réalité dangereuse du terrain a été occultée par l'obtention des permis de construire. Si les

permis de construire sont accordés, c'est bien la preuve aux yeux de tous que la sécurité est

assurée. Le parchemin officiel instrumentalisé, déréalise la dangerosité. La machinerie

administrative est dévoyée et ne correspond plus à ses buts initiaux et ceci grâce à l'aide des

tampons officiels supposés représenter l'Etat et la défense du bien commun.

Le relâchement du contrôle de l'état par négligence, par incompétence, par culture (la prime au

mérite aurait peut-être permis à Stéphane Montfort d'avoir envie de comprendre la signification

et l'importance de la côte de référence) est exploité dans le sens  d'intérêts privés. Les élus se

retranchent derrière un règlement mal appliqué pour renoncer à la morale personnelle. Leur but

est de développer les commerces, la commune, faire venir du monde et pourquoi pas de valoriser

les terrains à vaches du grand-père. 

Question de la compétence des élus.

On peut en douter de leur compétences lorsqu'on entend Françoise Babin admettre ne pas

savoir  ce qu'est une côte de référence. Mais peut-être que là aussi l'ignorance a bon dos. Dans sa  déposition le commandant Raffy dit que "l'ignorance des élus était consentie". D'autre part il était prévu que la surveillance de la digue soit "contractualisée" pour pallier l'amateurisme dans

lequel elle était réalisée et qui apparait à l'audition de Philippe Babin malgré sa combativité et sa résistance aux questions du tribunal.

Les juges ne voient dans la mise en avant de l'incompétence, l'ignorance par les prévenus élus que des stratégies de défense juridique et que des indications de mauvaise foi, ce qui explique la lourdeur des condamnations en première instance.

On verra à la fin du procès en appel si les condamnations sont alourdies ou allégées.( C'est vu, elles viennent d'être allégées 07/04/2016)

La catastrophe de la Faute sur Mer lors de la tempête Xynthia est une crise dont l'étude montre comment les responsables locaux se jouent des intérêts publics au profit des intérêts privés au sein d'une organisation dont ils organisent la soustraction aux dispositifs de contrôles . D'autres crises ont été étudiées, notamment comment l'armée US en est arrivée à torturer en Irak ou à Guantanamo ce qui a fait l'objet d'une commission d'enquête.

Concentrons nous sur une autre crise, un cas d'école, très documenté, celle de l'explosion de la navette spatiale Challenger en 1986.

L'explosion de Challenger le 28 janvier 1986

L'explosion de Challenger le 28 janvier 1986

 III Explosion de Challenger : la normalisation de la déviance

Comparons cette catastrophe Xynthia avec l'explosion de Challenger le 28 janvier 1986 suivie de l'enquête de la commission Rogers. Diane Vaughan écrit un livre magistral sur la question selon Hervé Laroche professeur à l'école de commerce de Paris.

 

Url du rapport de la commission Rogers sur le site de la Nasa

http://science.ksc.nasa.gov/shuttle/missions/51-l/docs/rogers-commission/recommendations.txt

Url du commentaire de Hervé Laroche sur le livre de Diane Vaughan

http://www.annales.org/gc/1998/gc09-98/69-77.pdf


L'explosion de la navette Challenger le 28 janvier 1986 est due a une défaillance des joints toriques du booster droit due à la conjonction d'une dégradation connue et non corrigée et à des conditions météorologiques inhabituelles pour la Floride ou la température la nuit du lancement est de zéro ou -1 degré celsius. La température du joint est de 10°C. Le problème était connu mais n'était pas considéré comme une cause d'annulation de lancement.

Il apparait que les fabricants du booster incriminé ont parié sur une résistance probable des joints et mit en jeu la vie des astronautes lors d'un pari. Ils n'étaient pas certains de la fiabilité des joints toriques qui perdaient de leur souplessepar grand froid entrainant un allongement des temps de réaction susceptibles d'entrainer des fuites de carburant lors de la mise sous pression des boosters au décollage.

Ces problèmes de sécurité ont fait l'objet d'une réunion à huis clos la veille du lancement. Elles n'a pas été enregistrée. 

Diane Vaughan envisage l'utilisation du "calculateur amoral" dans cette situation.

Le calculateur amoral est présent quand "la conduite fautive résulte d’un calcul probabilisé sur les coûts et bénéfices liés au respect (ou à la violation) des règles". Qu'est-ce que je risque en passant outre , se dit l'individu. Diane Vaughan cherche à repérer les signes de la présence de ce calculateur amoral : les écarts entre la règle et les comportements, les dérogations à la règle, les rappels à l'ordre. Or Diane Vaughan constate que les procédures ont été respectées, le calculateur amoral est absent ce qui nécessite de pousser la réflexion.

Elle s'intéresse à un phénomène qu'elle nomme la normalisation de la déviance.

Le problème des joints toriques était connu depuis longtemps, très documenté et croissant en gravité. Ce problème est né de la supposition que ces joints, ayant bien fonctionné lors des tirs des fusées Titans dans les années 70  étaient la bonne solution pour la navette. Ce postulat de départ ne sera jamais remis en cause dans les faits. Les dysfonctionnements successifs des joints furent classés dans la catégorie des risques acceptables par un mécanisme en cinq étapes, constituant ce processus de normalisation de la déviance.

1 Constat du problème

2 Acte officiel de reconnaissance du problème,

3 Expertise, tests,

4 Acte officiel d'acceptation du risque,

5 Lancement.

Ce processus s'est reproduit plusieurs fois avec à chaque fois une aggravation des signes de dysfonctionnement.

-La réussite des lancements successifs atteste que les joints sont suffisamment fonctionnels.

-L'explosion infirme qu'ils sont fonctionnels.

C'est à dire qu'ils sont considérés comme fonctionnels jusqu'à ce que cela explose. Les calculs de résistance des matériaux, les analyses et modélisations sont réalisés en pure perte pour optimiser les coûts.

Les hommes et leurs relations de pouvoir.

La veille du lancement du 28 Janvier 1986 se tient cette fameuse réunion où tout se joue, en téléconférence entre 35 personnes. Le problème de la température extérieure trop basse est posé. Le fabricant des joints préconise d'abord l'annulation du lancement. La séance est houleuse. Le constructeur de joints subit la pression de la Nasa. « Quand est-ce que je vais lancer , en avril ?» s'emporte Lawrence Mulloy, le responsable des tirs de la Nasa. 

Le même Mulloy dira plus tard à propos de l'explosion de la navette Columbia en 2003 « Nous n'avons rien appris depuis l'explosion de Challenger « This deviant situation became an acceptable situation » Il fait allusion à la même tolérance au risque constatée en 1986 avec en ligne de mire la même recherche de coût optimal. Cette idée finit par supplanter le respect de la  sécurité, les gestionnaires financiers gardant la main mise sur la décision finale.

Les astronautes dès qu'ils rentrent dans la navette sont en danger de mort parce qu'ils sont assis sur une bombe d'une part - ils en acceptent le risque - mais aussi parce qu'ils ne sont pas partie prenante aux décisions concernant leur propre sort.

Or, dans ce vol, un femme de 38 ans , Christa McAuliffe, est morte sous les yeux de ses parents et sous les yeux de ses élèves et collègues qui regardaient le lancement depuis les salles de classe. Toute l'école avait été équipée de câbles et d'écrans pour que tous les élèves puissent regarder le départ dans l'espace de leur héroïne sélectionnée parmi 11000 candidats. Le choc émotionnel dans le pays a été considérable et amplifié par sa présence. Elle connaissait les risques mais savait-elle que sa vie ferait l'objet de marchandages entre ingénieurs et gestionnaires financiers au sein de la Nasa ?

La conclusion globale de cest que le concept de bus de l'espace réutilisable n'est pas opérant dans la durée.

A l'inverse l'entreprise française EADS lanceur des Ariane 5 récupère les propulseurs mais ne les réutilise pas. Son business model est celui de la fiabilité maximale payée par le client. 

Quel est le business model de la Nasa ? Envoyer les astronautes dans l'espace en optimisant toujours plus les budgets parce que la Nasa est une entreprise publique financée par l'impôt. La Nasa mégote en permanence sur les couts de lancement pour des raisons politiques et électorales. C'est ainsi que des élus votant des budgets deviennent des assassins sans même en avoir conscience.

Revenons au compte à rebours, la veille du lancement. Les managers du fabricant des joints demandent d'interrompre la réunion pendant une demi-heure pour se concerter en interne à la suite de quoi ils changent d'avis et donnent leur accord au lancement. La Nasa accepte des risques pour tenir le rythme et les délais des vols des navettes. La Nasa s'est habituée aux caprices des joints en l'absence d'accidents mortels. Et comme il n'y a pas d'accident, les caprices des joints sont normalisés et ne sont plus remis en cause. Ils sont inscrits dans la règle par des actes officiels. La règle est ainsi réajustée au profit des consignes de lancement, du rythme des vols à tenir et des délais à respecter. La spéculation sur le risque est officialisée. L'organisation n'a plus la sécurité absolue des astronautes en ligne de mire. L'organisation, c'est qui ? Qui prend les décisions ? Et comment les décisions de ces personnes sont-elles induites dans cette organisation ? Sur quoi sont-elles fondées ?

Diane Vaughan étudie encore cette question selon une approche qui n'est pas sans rappeler les thèmes de recherches de Michel Crosier sur le phénomène bureaucratique.

Diane Vaughan constate la présence de certains éléments culturels au sein de la Nasa.

La culture technique de sécurité se noie dans la culture bureaucratique et la culture du résultat qui constituent une culture de production.

- une culture bureaucratique est née de la croissance de la taille de la Nasa.

- une culture proche de celle de l'entreprise de "coûts et délais". Elle intègre l'exigence d'équilibre financier et d'efficacité opérationnelle pesant sur la Nasa.

Le déni de la réalité entraîne des dysfonctionnements d'ordre communicationnels.

L'information est confinée. Les ingénieurs continuant sur leur lancée n'invalident pas leurs concepts fondamentaux, les managers ne prennent en compte que les faits nouveaux, une information chasse la précédente. Les instances de contrôle n'ont plusles moyens de faire leur travail en période de restrictions budgétaires imposées par Reagan à la Nasa. Le processus d'absorption d'incertitude se généralise. La réflexion puis la prise de décision se font sur une une réalité interprétée et déformée.

Cette différence d'interprétation entre ingénieurs et managers fait que les ingénieurs ne sont pas crus. Se crée alors un problème de confiance entre intervenants. Les personnes les plus éloignées de la réalité ont la plus grande force de décision du fait de la chaine hiérarchique.

                                                             ​********** 

« Plus l'information remonte, plus elle est synthétisée, et plus l'incertitude qu'elle peut comporter est absorbée, les faits communiqués peuvent ne pas être crus, ils peuvent rarement être contrôlés (March & Simon, 1958) »

François Mangin HEC

 

« A chaque niveau, il y a non seulement compression des données, mais également absorption de l'incertitude. Ce n'est pas la chose en soi qui est transmise, mais les résumés de données réduites qui sont transmis jusqu'au point où, à la fin, les dirigeants se retrouvent avec de simples chaînes d'inférences. Quelle que soit la façon dont ils procèdent, l'erreur est endémique. S'ils cherchent les sources jusqu'à l'origine, ils sont facilement dépassés, s'ils s'appuient sur ce qu'ils reçoivent, ils sont facilement induits enerreur ».

Aaron Wildavsky

**********

A partir de cet instant, Hervé Laroche reprend la main sur le texte de Diane Vaughan. Il poursuit son raisonnement en  comparant la logique de l'ingénieur avec celle du manager, la logique du calcul avec celle de la culture et la logique du sociologue avec celle du manager.

Le manager entraine l'ingénieur dans un calcul amoral dans lequel la vie d'humains échappe au contrôle de sécurité. Le manager détourne l'ingénieur de la réalité, del'analyse. Il l'appelle à faire preuve de courage. La prudence légitime de l'ingénieur est considérée comme un manque de courage par le manager. Cependant, Diane Vaughan montre que la différence de nature entre managers et ingénieurs n'existe pas car les managers sont des ingénieurs promus imprégnés de la même culture.

 

D’où vient le problème alors ?

Dans leur travail, les ingénieurs associent des contraintes techniques et des contraintes sociales. Même pour eux, rationalistes, la technique n'impose pas sa loi. Ils intériorisent la culture de production et suivent les rails de la logique des décisions précédentes pour ne pas se déjuger . Ils ne font pas le coup de force contre les managers au nom du respect de la réalité parce que chacun joue son rôle dans cette fiction créée par l'organisation. Par contre à la différence du manager, l'ingénieur n'aura pas à assumer les mauvaises décisions, à assumer la faute. Moins d'enjeu pèse sur ses épaules et le soutien du concret lui permet d'affirmer les choses avec force pour peu qu'il en ait le courage.

Pour comprendre la crise de Challenger, Diane Vaughan parvient à une conclusion ultime.

«L’explication du lancement de Challenger est l’histoire de gens qui, en travaillant ensemble, ont construit des schémas qui les ont rendus aveugles aux conséquences de leurs actions ».

 

***********

Cette angle de vue peut sembler partiel car les questions de la fermeté des convictions, de l'abnégation chez l'individu, n'apparaissent pas dans ces analyses qui font la part belle aux causes organisationnelles et non aux ressorts moraux des individus.

Ici il faut sortir du texte d'Hervé Laroche et de Diane Vaughan pour aborder le rôle de Roger Boisjoly à partir d'autre sources. Roger Boisjoly est ce que les études ultérieures appelleront un lanceur d'alerte. En quittant Laroche et Vaughan nous abordons l'aspect du ressort individuel dans la crise.

Tout se joue pendant cette demi-heure, les ingénieurs et managers de Thiokol font un break pour discuter entre eux. Roger Boisjoly est un ingénieur de Thiokol le constructeur des boosters.

Il avait prévu l'explosion de la navette six mois avant et avait fait part de ses fortes réserves à ses supérieurs dans un mémo. La Nasa avait prévu un ambitieux planning de lancement en hiver ce qui était dangereux même pour une  Floride réputée pour la douceur de son climat. Georges Hardy de la Nasa lors de la téléconférence dira ; » Je suis consterné par votre recommandation»(de ne pas  autoriser le décollage). Pourtant il se plie à la décision de Thiokol. Mais lorsque la navette explose, Boisjoly est devant sa télé et il en connaît les raisons. Il en deviendra dépressif. Il laissera passer toute une année avant de s'exprimer.

A la suite de l'accident, Boisjoly s'investit dans des communications éthiques auprès des étudiants ingénieurs. Il est ostracisé dans son travail comme un hérétique.

Dans cette réunion préparatoire où s'est décidé le sort des astronautes, la conduite à tenir est venue des managers, par ceux qui détiennent le pouvoir, l'autorité et la "vérité", leur "vérité". Leur vérité s'est avérée fausse parce que décidée d'en haut sans tenir compte du réel.

Roger Boisjoly explique que l'on ne peut tenir pour moralement responsable quelqu'un qui n'a pas pu anticiper un problème. Or là, il a prévenu et n'a pas été écouté. Il fait la liste des causes possibles expliquant le fait qu'il n'ait pas été entendu.

1 Manque de certitude

    Le risque n'est pas avéré. Comment jouer son poste sur une incertitude ? Il explique bien cet état d'esprit dans lequel il se trouve lui-même : dans les premières secondes du vol, il est soulagé de croire qu'il s'être trompé. Les cas du crash des Andes et du crash de Challenger montrent bien que les questions de sécurité ne doivent pas être l'enjeu d'un débat. C'est pour cela qu'une autorité indépendante est garante de la sécurité dans le domaine du transport aérien.

2 Peur du conflit

     Le conflit est destructeur, détruit les relations et entraine des catastrophes. Alors on hésite toujours à faire monter les enchères, en s'imposant au risque de provoquer la rupture.

3 Manque d'engagement

       Les responsables pensent à leur carrière, ne s'impliquent pas.

4 La démission des responsabilités

5 Le désintérêt pour les conséquences

 

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