Bienvenue sur Terre

J'étais subjuguée par le jeu de l'acteur. Dans une pure émotion, j'étais lui. Il plissait les yeux, se mordait les lèvres, son visage était méconnaissable, tordu par la douleur.

Mon visage aussi se déformait, connecté au sien. Je transpirais de tout mon corps. Le dos moite, je m'enfonçais dans mon fauteuil, la respiration bloquée.

Plus j'étais lui, moins j'étais moi.

Alors il y  avait bien quelques moments un peu moins intenses pendant lesquels il me perdait. 

Je voyais à nouveau les têtes des spectateurs devant moi, je sentais le velours du siège sous mes doigts, les odeurs grasses de pop-corn.

Et il me reprenait quand je m'oubliais à nouveau, à la fois esclave et humaine.

Plus j'étais esclave, plus j'étais humaine. Plus j'étais moi, intensément.

C'est alors que vient la scène du tir.

Le revolver chargé à blanc, ou qui aurait dû l'être. Le vrai sang dans l'avidité du sable et la vraie balle dans un corps. La vraie mort, simple et stupide.

L'acteur regarde le sol puis il regarde son arme, sans comprendre, sidéré.

Les assistants se précipitent sur la femme allongée par terre, on crie, on s'affole, on appelle les secours.

L'acteur s'écarte, recule, titube, tombe. Un siège, des bras le retiennent.

Qui a mis les balles dans le revolver  ? Peu importe, la fatalité, l'insouciance, la culture et l'inculture des armes.

Une grosse somme d'argent réglera l'affaire puisque tout s'achète en ce bas immonde : les cadavres, les souvenirs d'une femme, le pop-corn aux odeurs grasses..

Bienvenue sur Terre.