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Astrid Lacroix

Astrid Lacroix

Blog de réflexions sur les problèmes de société


Foucault et les monstres

Publié par A. Lacroix sur 8 Décembre 2014, 13:14pm

Catégories : #Violence, #Société

Monstruosité, despotisme,le plug géant de McCarthy.

Une monstruosité, un godemichet géant comme sapin de Noel, c'est ce que la Fiac avait projeté d'exposer sur une des plus belles places de Paris, la place Vendôme, une oeuvre de Paul Mc Carthy. Un passant a dégonflé l'engin et un autre a filé trois baffes à l'artiste avant de disparaître. Ce ne sont pas des manières mais peut-on lui en vouloir ?

La force des symboles, symboles culturels et symboles religieux, concernant Noel est forte, le sapin représentant Noel, les fêtes familiales, la nostalgie des bonheurs enfantins. Cette initiative de la Fiac et de l'artiste relève d'une conception de l'art entendu comme un moyen de questionner. Les philosophes parlent d'une conception agonistique de l'art, un art  et un espace public conflictuels. Le résultat  est allé au-delà des espérances puisque les gens sont questionnés certes mais aussi, outrés.

Pour l'artiste, cette baudruche est une critique de la société de consommation. Le rapport  entre un gode et la critique de la société de consommation n'est pas évident.  L'artiste choque au nom de l'art, il divise. La directrice de la Fiac le devance ou lui emboite le pas, impose aux Parisiens une imposture artistique. Pour les colonnes de Buren, ou la pyramide du Louvre, les esprits se sont enflamés et puis la paix est revenue. Pour le plug de Mc Carthy, la guerre aurait surement duré un bout de temps et les responsables auraient fini par plier bagage. Ce truc est inacceptable, une monstruosité non pas comme objet sexuel mais comme une confiscation de l'art au nom d'une conception exclusive et contestable du beau.   On peut avoir ses propres idées et les exposer dans un endroit clos dans lequel les personnes intéressées pourront se déplacer mais ici il est exposé dans un lieu public. La volonté d'un seul fait loi.

Pour Foucault le premier des monstres est le roi, le monarque, le despote, l'individu qui fait valoir sa violence, ses caprices, sa non-raison, comme loi générale ou comme raison d'Etat. 

Il y a une monarchie des soi-disant experts de l'art contemporain, un despotisme de la folie chez Paul Mc Carthy. Il est ce monstre, il revêt sa couronne de roi qui expose, qui impose aux yeux de tous ses travers. Cet art contemporain nous impose d'admirer des fous.

La question que pose Paul Mc Carthy est celle de savoir ce qui est normal et plus encore ce qui relève du bon sens, ce qui devrait normalement être admis pas tous sans explication et sans discussion. Par exemple un fou dangereux doit être enfermé parce qu'il risque de tuer quelqu'un, n'importe qui, sans raison.

Le livre  "Asiles" d'Erving Goffman paru en 1961  a une influence importante sur l'évolution de la psychiatrie vers un asile psychiatrique hors les mûrs. Le bon sens d'antan faisait que les fous dangereux devaient rester enfermés dans l'asile et dans la camisole. Le bon sens de maintenant a créé la camisole chimique qui permet à la dangerosité d'être contenue. L'ennui est que si la personne ne prend ses médicaments, elle redevient dangereuse. L'idée de l'asile hors les murs est bonne en soi mais fait de la rue un asile psychiatrique hors contrôle. De fait et par conséquence, les fous sont enfermés quand même et deviennent des détenus en prison parce que l'asile ne joue plus son rôle d'enfermement.

Au sujet des détenus, on peut être carcéraliste comme aux Etats-Unis mais ce n'est pas la doctrine qui prévaut actuellement en France. Le bracelet est préconisé mais rien n'empêche un délinquant d'aller commettre un braquage, le bracelet à la cheville.

Il est étonnant de suivre les policiers de l'antigang pistant une bande de braqueurs. Ils savent qu'ils vont commettre un braquage, la filature, les écoutes, tout concorde. Ils ont le lieu et l'heure mais ils doivent attendre que le crime soit réalisé pour arrêter les voleurs. Ils doivent attendre ou prendre le risque qu'une personne soit brutalisée, pour agir. La logique est celle du pire parce qu'on punit l'action et non l'intention pourtant manifeste. L'action est plus payante d'un point de vue répressif. Les buts du policier et du juge ne sont pas les mêmes. Le juge veut vider les prisons, le policier veut les remplir. Le bon sens commande de prévenir le dommage. Ici, il est volontairement aggravé par la prime donnée à l'absence d'intervention préventive.  Notre système de répression marche parfois sur la tête. 

  Alors face à cette perte du sens des évidences, certaines composantes de la société radicalisent leur discours parce qu'elles considèrent que la société s'égare et qu'elle mérite des claques. Paul Mc Carthy en a reçu, la baudruche a disparu à cause d'une action violente. Le désaccord se situe dans la définition du bon sens, de ce qui va de soi. Notre époque est monstrueuse au sens de Foucault parce qu'il faut sans cesse rappeler les évidences, définir l'anormalité et la normalité, ce qui est vrai en soi, de part sa substance. La substance selon Aristote est ce qui "est" en soi. On ne sait plus s'entendre sur  "le fou" et ce qu'on doit en faire.

Quelle est la substance du délinquant, de l'artiste décadent ? Un monstre ou un ange ? Pour certains, il est plus une victime et moins dangereux pour d'autres il est  bourreau et plus dangereux. Il s'agit donc d'une substance de l'être vue comme un phénomène, une interprétation. On rejoint 

Mc Carthy est une nature interprétée par d'autres qui voient en lui soit un artiste soit un détraqué. Avec Mc Carthy on atteint les limites de l'engagement politique de l'art pour aborder le thème de la propagande par laquelle le débat public est confisqué par une oligarchie, gardienne de la bien-pensance. Tout est une affaire de respect de l'autre, de ses goûts et de ses idées. On ne peut pas dire que Mc Carthy est anormal s'il aime se mettre des trucs là où je pense, il est anormal dans le sens où son point de vue est le prétexte à une confiscation de l'espace public, l'espace commun et à une prise de pouvoir sous des dehors artistiques. La dispute entre Mc Carthy et son agresseur porte sur une dépossession d'un bout de territoire de la place Vendome dont l'usage par Mc Carthy est contestable. Le débat porte sur ce qui doit être public et ce qui doit être privé. Il y a fort à parier dans cette affaire que la souffrance de l'artiste, thème central de la création artistique, baudelairien, rencontre la cupidité des marchands d'art et des acheteurs-traders.

Pour poursuivre la réflexion et trouver quelque excuse à McCarthy on trouve une conférence du philosophe Raffaelle Carbone sur internet dans laquelle il revient sur ce texte de Foucault. Il prend deux ou trois exemples d'auteurs inspirés par le thème des monstres. Les monstres qui sont là pour avertir de la justice divine. Elle tombera sur l'homme s'il ne se corrige pas de son péché. Le monstre ne suit pas l'ordre naturel. Dans le langage hospitalier la chambre des monstres est remplie de bocaux de fœtus avortés, des embryons à deux têtes ou à plusieurs membres, difformes.  Le monstre est un hors la loi, naturelle et juridique. Le monstre est le mélange de l'humain et de l'animal, l'homo et le délinquant. Les pratiques sexuelles contre nature  sont l’œuvre de fous et de monstres. L'homosexuel comme Foucault est un déviant considéré jusqu'à peu comme un anormal.

McCarthy dans sa provocation interroge sur la normalité en matière de pratique sexuelle. Il dit vouloir interroger sur les travers de la société de consommation mais en fait il interroge la société sur la manière dont elle ostracise les minorités rejoignant le thème  très actuel de la reconnaissance traité par Axel Honneth, Paul Ricoeur, une héritière américaine de Foucault, Judith Butler. Pour Judith Butler et selon le petit livre d'Haud Guegen et Guillaume Malochet sur les théories de la reconnaissance, la question du droit à la reconnaissance doit être  précédé d'une réflexion sur le droit à être reconnu, sur la reconnaissabilité. La reconnaissabilité dépend de cadres de perception, une manière de voir les choses créée par le pouvoir. Or cette conception se heurte à un autre droit légitime à la reconnaissance basé sur à la rationalité. Michel Foucault, comme rappelé plus haut, dit que le premier des monstres est le monarque qui nous impose ses non-sens. L'universitaire Philippe Bernoux nous dit rejoignant Michel Foucault que le déni de reconnaissance en entreprise commence avec le déni de reconnaissance de la rationalité des employés. Lorsque Mc Carthy impose son plug sur la place Vendome il impose une conception du monde, de l'homme, de sa sexualité. Une fois que l'on a fini de s'interroger sur le respect de l'autre dans la manière de dire les choses, il faut s'interroger sur le fond.  Et là la pertinence des idées doit être évaluée. La vérité ne tient pas uniquement dans la réthorique. Le despotisme est à la fois d'investir un lieu public mais surtout d'annoncer une conception de l'homme sans que le débat ne soit possible mais aussi c'est un déni de reconnaissance d'une rationalité dont le fondement repose sur une affirmation de la vie. L'homme vit parfois dans l'illusion qu'il peut échapper au diktat de son environnement. Le psychosociologue Lee Ross (1977) appelle ce phénomène d'illusion, l'erreur fondamentale d'attribution dans laquelle l'individu attribue à des causes internes la responsabilité de son acte alors qu'il est soumis à des contraintes externes, situationnelles qui lui échappent. Le besoin de reconnaissance bute sur la rationnalité qui finit par imposer sa loi. Le vivant , merci Darwin, se sert de la mort, de la destruction, de l'écrémage pour s'imposer. Ce qui est mis en cause, c'est le fait que la nature, le vivant  a toujours le dernier mot.  Le besoin de  reconnaissance est exprimé par des personnes doutant du bien fondé d'avoir été engendrées. La question posée par le thème de la reconnaissance n'est pas la question du pouvoir contrairement à ce que croit Judith Butler mais celle de la souffrance par laquelle le vivant est remis en cause. La souffrance conduit à la mort qui est la fin de la souffrance et c'est en ça qu'elle peut être justifiée. Le marché de l'art exploite la souffrance de l'artiste qui lui aussi vit ou tente de vivre de sa souffrance. L'art contemporain monétise  la souffrance. Le marché de l'art contemporain planant au dessus d'une activité artistique détachée de la maitrise de la matérialité est une valorisation de la souffrance préalable et figure de  la mort.

Nos sociétés tendent vers une réduction démographique, les femmes enfantent de plus en plus tard, la performance reproductive est combattue. Les lois sur la maitrise de la fécondité et le mariage homosexuel sont le pendant de crises économiques et de diminution des ressources disponibles. La loi sur l'avortement arrive avec les chocs pétroliers, la loi Taubira est adoptée dans la crise actuelle. L'ajustement démographique est en relation avec le sentiment collectif de richesse. Parmi les pays d'Europe atteints par la crise, il n'y a qu'en France où la démographie ne diminue pas . Les ventres des femmes sont devenus des collecteurs de redistribution de l'impôt et un outil de prostitution officialisé. Les femmes d'Afrique arrivent en France le ventre en avant, le mari derrière. Elles sont les pourvoyeuses de ressources au sein du couple et l'homme dépouillé de son pouvoir économique devient violent pour asseoir son autorité et cela d'autant plus que sa culture l'y autorise. L'ajustement contrarié fait sa place par la violence. La société se poutinise.

Entre l'agresseur de Mc Carthy et Poutine, un point commun : la violence.

 

Lien Histoire de monstres depuis l'antiquité jusqu'à nos jours

La question de la déviance est aporétique puisque plus cette idée s'affirme plus elle s'invalide. Les minorités déviantes sont condamnées à le rester, à se transformer ou à disparaitre. Elles doivent se taire et ne plus souffrir car les minorités sont créées par le cri.

 

Je me promenais sur un sentier avec deux amis — le soleil se couchait — tout d'un coup le ciel devint rouge sang je m'arrêtai, fatigué, et m'appuyai sur une clôture — il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville — mes amis continuèrent, et j'y restai, tremblant d'anxiété — je sentais un cri infini qui se passait à travers l'univers et qui déchirait la nature.

Je me promenais sur un sentier avec deux amis — le soleil se couchait — tout d'un coup le ciel devint rouge sang je m'arrêtai, fatigué, et m'appuyai sur une clôture — il y avait du sang et des langues de feu au-dessus du fjord bleu-noir de la ville — mes amis continuèrent, et j'y restai, tremblant d'anxiété — je sentais un cri infini qui se passait à travers l'univers et qui déchirait la nature.

Ce plug de McCarthy c'est celui d'une souffrance non dite, d'une inversion du rapport à la vie, de celui qui pour vivre est condamné à souffrir et à se plaindre, le plug anal en écartant les orifices crée du plaisir dans la douleur. Mc Carthy nous raconte l'histoire de l'artiste, et de tous ceux qui se sentent maudits sur cette terre.

Si on creuse dans nos souvenirs, l'homme lui aussi quittant le paradis perdu est maudit sur cette terre. Il doit la travailler pour qu'elle lui rende. Condamné à souffrir pour vivre qui faisait du suicide et pour le Camus du mythe de Sisyphe la seule question digne d'être débattue.

Va ! artiste maudit, remet ton plug sur la place Vendôme si pour toi c'est la seule solution pour lutter contre l'absurdité de la vie et pour rester vivant mais ne nous entraine pas dans ta condamnation.

Rajout du 2/12/2014

Lors du cours du 22 janvier 1975 Foucault étudie le sujet des monstres.

Pour Foucault les monstres humains sont une des trois figures de l'anomalie avec l'individu à corriger, et l'enfant masturbateur. Il  fait se définir la figure du monstre et apparaitre au 18ème puis au 19ème siècle. Foucault définit le monstre par ce qu'il est puis par ce qu'il n'est pas, en le comparant aux individus à corriger, et à l'enfant masturbateur, il en précise, en renforce les contours.

La définition du monstre est juridique ,non pas au sens littéral mais au sens large, car le monstre est contre-nature, contre les lois de la nature. 

-La monstruosité franchit la frontière de la normalité

-Elle est rare.

"Disons que le monstre est ce qui combine l’impossible et l’interdit"

La réponse à l'infraction de la  monstruosité n'est pas légale, elle est violente, médicale ou de pitié. La monstruosité tout en étant contraire aux lois de la nature, est sans artifice, naturelle dans sa spontanéité. Elle est  le point de rassemblement des petites anomalies éparses et permet de les rendre intelligibles. La monstruosité, tautologie, est la poignée, un indicateur par lequel l'anomalie se laisse saisir sans pouvoir s'expliquer. Elle est un début et une  fin, un butoir  illisible que l'on retrouve au bout de la réflexion sur les anomalies.

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